Le Jardin Biblique
Les jardins monastiques, en bref…
♦ Dès le IIIème siècle, certains chrétiens en quête d’absolu quittent les villes bruyantes et agitées de l’Empire romain pour se retirer dans les solitudes de l’Égypte. Là, ils désirent rencontrer Dieu dans le silence, la prière et le travail de la terre, source de leur subsistance, travail qui va faire l’objet de toute leur sollicitude et attention. Ce genre de vie va se répandre tout autour du bassin méditerranéen ; les moines de nos abbayes en nos campagnes sont les lointains descendants de ces premiers ermites, dont ils transmettent le style de vie et le savoir-faire.
♦ Dans l’abbaye, le jardin du cloître (hortus conclusus, jardin fermé, secret, lieu retiré derrière les murs de la clôture) est, à l’image du paradis terrestre décrit dans les premiers chapitres de la Bible, le lieu de rencontre et d’intimité du moine avec Dieu ; il exprime la paix, la beauté et l’ordre de la Création originelle et préfigure le paradis céleste. Le jardin, là encore, y a une place centrale.
♦ Mais le monastère entretient aussi des jardins utilitaires : la production du potager (hortus), des champs, (houblon, orge, chanvre et lin), des vergers (viridarium) et des prairies, permet à la communauté monastique de vivre en autarcie. Établi près des cuisines, le potager fournit les plantes culinaires, qui font l’essentiel de la table monastique. Le jardin nourricier avait une telle importance dans l’économie de l’abbaye médiévale que le moine responsable de son entretien était considéré comme l’un des plus importants de la communauté monastique.
Selon la « Légende » de Philoména, les sept ermites fondateurs de cette Abbaye (VIIIème siècle) ne mangeaient que du millet, des fèves, des choux, de l’orge et d’autres « herbes sauvages ». En l’an 800, Nébridius, premier Abbé du monastère et évêque de Narbonne « planta les vignes ». Au XIVème siècle, on cultive les noix, les pommes rouges, les épinards, les choux blancs et rouges, les poireaux, le persil, les courges, les laitues, les oignons, les fèves et les pois.
♦ Cependant, nombre de plantes y sont cultivées pour leur valeur symbolique et religieuse : par exemple l’iris qui a ses feuilles en forme de glaive rappelle la souffrance de Marie au pied de la Croix, dont le cœur fut transpercé d’un glaive de douleur, le « cœur de Marie », les fleurs de la Passion…
♦ On trouve aussi dans le jardin monastique des plantes tinctoriales fort utiles pour la teinture des bures noires et des ornements liturgiques, ainsi que des fleurs pour l’ornementation de l’église (roses, lys, fougères, renoncules, géranium, lierres…).
♦ Les simples. Les moines ont porté tout leur soin à l’étude systématique et au développement rationnel des plantes médicinales. On les cultivait en carreaux dans le jardin des « simples » (herbularius), situé habituellement non loin de l’infirmerie. Le terme « Simple » désigne à l’origine un médicament constitué d’une seule substance, sans mélange ni préparation savante. En ce sens, sainte Hildegarde de Bingen (+1179) écrit le « liber simplicis medicinae », le livre des simples médecines ; puis on a appliqué ce terme aux plantes médicinales uniquement. Les moines apothicaires, siècle après siècle, mentionnaient leurs vertus curatives dans des recueils appelés « hortulus medicinalis ». Parmi les plus célèbres, citons Cassiodore (Vème siècle), Strabon (IXème siècle), sainte Hildegarde, saint Albert le Grand (XIIIème siècle). Les monastères contribuèrent ainsi efficacement aux progrès de la pharmacopée.
Les « simples » les plus cultivés étaient la sauge, la lunaire, le cumin, le fenouil, la rue, le romarin (très répandu dans les Corbières avec le thym), l’aneth, l’anis, le cresson, la menthe, la guimauve, la violette, le pavot, la camomille, la julienne, la sarriette, l’hysope…
♦ Ces herbiers permettaient de soigner les nombreux malades reçus dans l’hôpital de l’abbaye. La Règle de saint Benoît, vécue à l’Abbaye de Lagrasse pendant plus de douze siècles, jusqu’à la Révolution, fait en effet un devoir aux moines d’accueillir les pauvres et les malades comme le Christ en personne : « Tous les hôtes qui se présentent seront reçus comme le Christ, car lui-même dira : j’ai été votre hôte, et vous m’avez reçu » (ch. 53). Elle leur impose le devoir de « soulager les pauvres, vêtir celui qui est nu, visiter le malade, ensevelir le mort, secourir celui qui est dans l’épreuve, consoler l’affligé ». (ch. 4)
♦ La gravure ci-contre montre les jardins de l’abbaye, conçus et réalisés par les moines réformateurs de la Congrégation de Saint-Maur, récemment arrivés à Lagrasse (1662). Nous sommes à l’époque classique qui voit Le Nôtre dessiner les parcs « à la française » du château de Versailles. On peut remarquer que les moines mauristes ont éloigné les jardins utilitaires (potagers, simples, plantes tinctoriales et florales) qui jouxtaient jusqu’alors les bâtiments conventuelles -les cuisines- pour y établir à leur place des jardins d’agrément, selon la mode du temps. Il faut cependant en noter la sobriété, à l’image de l’architecture simple et dépouillée du cloître. Les moines éliminent tout superflu qui pourrait les distraire de l’essentiel, la quête et l’intimité avec Dieu. A cette époque, le jardin utilitaire passe au second plan ; il est confié à des convers voire à un commis entouré d’ouvriers jardiniers.
Une visite au jardin biblique de l’abbaye…
♦ Le plan initial et le problème de départ : l’homme créé dans un jardin, lieu de délice et de révolte (à la sortie de la tour)
Bienvenue au jardin biblique de l’Abbaye. Ce jardin est planté sur un terrassement du début du XVIe siècle, effectué pour empêcher les crues de l’Orbieu de dévaster l’Abbaye, et en particulier l’église et le cimetière qui se trouvait, jusqu’à la Révolution française, devant les absidioles.
Lorsque notre communauté a repris les bâtiments en 2004, il n’y avait rien sur ce terrain. Nous avons commencé par installer un jardin monastique, jardin surtout connu pour la collection de simples qu’il abrite traditionnellement. Les simples sont des plantes à la fois condimentaires et médicinales, utiles pour la confection de tisanes et le parfum des plats d’antan.
A partir de 2014, nous avons décidé de la modifier en un jardin biblique. Pourquoi ?
Pour une raison pratique d’entretien, la collection de simples demandant beaucoup de temps.
Pour une raison symbolique et de valorisation de l’Abbaye, car s’il y a maintenant en France beaucoup de jardins de simples, il n’y a pratiquement pas de jardin biblique, jardin pourtant lié à la vie religieuse, vie où la lecture et la méditation de la Bible, la Parole de Dieu, tient une grande place.
Dans un sens, créer ici un jardin biblique était facile, car règne à Lagrasse presque le même climat qu’à Jérusalem. Deux différences toutefois : en Terre Sainte l’hiver est plus froid, avec de la neige chaque année à Jérusalem, tandis qu’ici quelques rares flocons se montrent, le temps de fondre, tous les quatre ou cinq ans. Par ailleurs, le climat des Corbières est beaucoup plus venté, avec trois cents jours de vent par an à Lagrasse.
♦ S’avancer un peu dans l’axe de la sortie de la tour
Certaines plantes sont mentionnées nommément dans la Bible.
- L’amandier se nomme en hébreu « veilleur », car c’est l’arbre qui monte la garde et annonce le premier la venue du printemps. Ici, sa floraison commence mi-février.
Dans la Bible, il est un symbole de Dieu, qui veille sur sa parole pour l’accomplir.
2. Flamme toujours verte tendue vers le ciel, la Bible voit dans le cyprès un symbole de fidélité et d’espérance. Voilà pourquoi les cyprès sont souvent plantés dans les cimetières. Ils nous rappellent que si nos chers défunts nous ont quittés, nous restons dans la fidélité à leur mémoire et dans l’espérance de les retrouver.
3. Si l’on vous dit pomme et Bible, vous pensez immédiatement à… Adam et Eve, le paradis terrestre, le jardin d’Éden, le fruit défendu, etc. …. Bien sûr, et pourtant il n’y a pas le mot « pommier », ni « pomme » dans le récit de la Genèse qui relate le péché originel. Alors pourquoi cette association ?
En fait, l’association de la pomme au péché originel vient d’un jeu de mot. Adam et Eve ont défense de manger du fruit de l’arbre du bien et du mal, or, en latin, pommier se dit « malus ». Dans la culture occidentale, qui est d’abord latine, le lien était vite fait !
4. En revanche, en Orient, c’est le figuier qui est l’arbre associé à cet épisode. Pourquoi ? Parce que dans la Bible, juste après le péché, Adam et Eve se rendent compte qu’ils sont nus, et se bricolent des pagnes en feuilles… de figuier. Caressez-en une, de ces feuilles, et vous penserez vite que leur texture râpeuse voire abrasive n’est peut-être pas le premier choix de lingerie… Mais nécessité fait loi.
Ainsi le premier message donné par la Bible sur les plantes et le jardin est mitigé. Lieu paradisiaque, créé et donné par Dieu, le jardin est aussi le lieu où commence la désobéissance. Révolte contre Dieu, distance et méfiance entre l’homme et la femme, lieu de travail pénible et blessure de la nature elle-même. Le jardin nous rappelle notre responsabilité, envers Dieu, envers les autres, envers le monde et l’environnement.
D’autres plantes nommées dans la Bible rappellent cette situation douloureuse de l’homme, et la discorde entrée dans le monde, entraînant la mort et la peine avec elle. Ces plantes sont installées le long de la grille, je vous laisserai les découvrir plus tard.
Toutefois le message de la Bible ne s’arrête pas là. Le péché originel est aussi le point de départ de l’histoire des hommes, et nous pouvons y trouver des signes de Dieu qui cherche à renouer la relation avec l’homme.
♦ Une première conversion : se tourner vers Dieu, se retrouver soi-même, se réconcilier avec les hommes (et s’avancer dans les quatre carrés)
Tout au long de cette histoire, nous trouvons une plante qui guide.
5. Vous la voyez le long du jardin : la vigne. Dans la Bible, la vigne est le symbole du peuple que Dieu choisit, prépare, entretient. C’est aussi une figure du Christ, qui nous invite à demeurer en lui comme des sarments. Il nous montre par là l’intimité qu’il recherche avec les hommes, sans cesse, tout au long du temps, pour tout restaurer, patiemment.
♦ Dans le carré sud-est
6. Les fruits du grenadier, les grenades, figurent dans la Bible l’ardeur de la passion amoureuse, mais aussi le désir de Dieu pour la guérison et l’union avec l’homme. Adam et Eve ont introduit la discorde entre l’homme et la femme par leur désobéissance envers Dieu ? Dieu veut réparer l’union entre l’homme et la femme, symbole de son amour à lui.
♦ Vers le carré sud-ouest
7. Regardez à présent ces buissons d’aspect inoffensif : ils cachent de redoutables piquants, et portent le nom de Spina-Christi, l’épine du Christ. Ce sont sans doute les plantes de la couronne d’épines. C’est avec un végétal que l’homme a trahi l’alliance avec la nature, et que nous avons perdu notre royauté sur les vivants. Nous passons d’ailleurs souvent d’un excès à l’autre avec la nature : de la tyrannie à l’idolâtrie. Le Christ, lui, a porté une couronne d’épines, montrant qu’il retrouvait la royauté par cela même qui nous avait fait tomber du trône. Dieu règne par le bois.
♦ Vers le carré nord-ouest
8. Ici, ces buissons qui ressemblent beaucoup au buis sont des myrtes. Sans doute l’une des plus belles plantes méditerranéennes, pour son beau feuillage, ses fleurs, ses fruits et son parfum. Dans la Bible, le myrte est mentionné une fois, dans un texte énigmatique du prophète Zacharie qui montre Dieu et ses messagers accomplir leurs promesses. Le myrte signifie donc la fidélité de Dieu qui accomplit ce qu’il dit, même si nous ne comprenons pas tout.
♦ Vers le carré nord-est
Dans ce carré, vous reconnaissez l’olivier.
Le fruit de l’olivier est très amer. Pourtant elle donne une huile très douce, qui donnait aux anciens, lumière dans les lampes, guérison comme remède, saveur, comme aliment et condiment. Ce sont aussi les effets de la vie du Christ. Lui aussi a connu une passion amère, commencée d’ailleurs au jardin des oliviers, mais en ressuscitant le troisième jour, et en montant au ciel le quarantième, le jeudi de l’Ascension, il a transformé cette amertume en douceur. Pour ceux qui l’acceptent, il devient lumière par son enseignement, guérison par sa miséricorde, nourriture et saveur par sa présence et la communion avec lui.
Ainsi nous avons vu se restaurer, par les symboles du jardin, ce que le jardin d’Eden avait blessé :
- L’union entre l’homme et la femme (grenadier),
- L’harmonie avec la nature (paliure Spina Christi),
- Le sens de la vérité et de la fidélité (myrte),
- L’alliance avec Dieu (olivier).
Nous avons passé quelques plantes pour épargner votre patience, vous pourrez les découvrir par vous-même.
♦ Une deuxième conversion : retrouver le projet originel, une foi purifié et approfondi la nature humaine et les relations avec Dieu, moi-même, mes frères (dans le pré, face à l’église)
Notre parcours nous conduit après l’axe d’entrée dans le jardin, à un nouveau virage. En effet nous retrouvons ici l’orientation est-ouest, mais nous ne sommes plus ici entre la tour de l’orgueil et l’arbre de la tentation et de la révolte.
Nous sommes entre le vitrail et le chêne. Entre la lumière et la rencontre.
Le chêne, dans la Bible, est l’arbre sous lequel Dieu vint retrouver Abraham. Vous connaissez peut-être cette belle histoire : il fait chaud, Abraham fait la sieste, et trois -ou un- voyageurs mystérieux se présentent. Abraham se hâte de les recevoir, et leur offre un petit goûter, en l’occurrence un veau gras et des pains. Dieu, car c’est lui, fait alors à Abraham et à Sarah son épouse la promesse qu’un fils leur naîtra dans l’année. Prodige, car Abraham a cent ans et Sarah quatre-vingt-dix ! De quoi rire, mais rien n’est impossible à Dieu.
Ce récit se situe dans la Bible après le jardin originel. C’est la deuxième fois que Dieu vient rencontrer l’homme face à face. Et sous un arbre.
D’ailleurs, au fond, l’arbre n’est-il pas le signe de la rencontre avec Dieu ? L’arbre est dans le ciel par ses feuilles, ses branches, et il vise le haut sans se tromper. Mais il est aussi terrestre, et même souterrain par ses racines. Comme l’homme, qui est du ciel et de la terre, et trouve sa place et son équilibre en se tenant droit, comme le tronc.
Annexe : Quelques plantes mémorables des jardins de Lagrasse :
♦ Gleditsia triacanthos
Févier à trois épines, ou Févier d’Amérique, à l’angle nord-ouest de la cabane dite « petit trianon ». Plantation en 2015
A la faveur d’une visite à l’abbaye, nous faisons connaissance d’un ingénieur de la chambre d’agriculture du département. Nous visitons son jardin à Ferrals des Corbières, et avec sa famille il nous visite plusieurs fois et nous offre cet arbre, rejet d’un sujet installé dans son jardin, ainsi que le paliure et les phlomis jaunes installés en ligne. Cet ami, très curieux de la vie religieuse et de la foi qu’il n’avait jamais vraiment eu l’occasion de découvrir, participe à quelque activités « jardin et spiritualité ». Un brutal accident cardiaque l’emporte après quelques jours d’hospitalisation en janvier 2017. RIP.
♦ Campsis radicans
Les Trompettes de Jéricho sur la salle verte à l’angle nord-est du jardin biblique. Planté en septembre 2019
Lors des Estivales 2019, un jeune homme arrivé là un peu par hasard participe avec enthousiasme aux activités d’accueil des touristes. Mais il tient aussi à travailler au jardin biblique, et notamment à nettoyer le bassin. Une envie subite l’en a pris. Nous faisons aussi quelques arrosages et visitons le reste du jardin. Le camphrier l’impressionne beaucoup : « L’odeur du vestiaire de judo quand les gars de la box thaïe sont passés avant ! » Avant de partir, il me laisse 100€ : « Ma mère enverra un chèque pour l’hôtellerie, non, ça, c’est de ma part. J’ai gagné de l’argent en job d’été, c’est pour le jardin. » Campsis radicans est installé à la mémoire de cet ami du jardin.
♦ Cyprès du Cachemire
Devant l’entrée de l’Abbaye. Planté le 25 novembre 2019.
Le 15 août précédent, un couple se présente à la porterie et demande si nous sommes intéressés par un Cyprès du Cachemire. Après une reprise de contact, date est prise pour une plantation le jour de sainte Catherine. Ce cyprès est un semis effectué par le monsieur, pépiniériste à Carcassonne, qui part en retraite ce jour-là. Nous le plantons ensemble.
♦ Le Cyprès du Cachemire est un arbre originaire de l’Est de l’Himalaya, qui est le symbole du Bhoutan où il est arbre sacré, souvent planté dans les monastères. Aujourd’hui absent de son pays d’origine à l’état sauvage, en voie de disparition, classé sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, on en recense moins de 130 sujets dans le monde.
♦ Vignesa
Trois pieds de vignes du jardin biblique, du sud au nord. Plantés en novembre 2020.
Le Néheleschol ou Géant de Palestine ou Raisin de la Bible. Ce serait le cépage qui a donné le vin du Miracle des Noces de Cana.
Le Pinot, découvert par les Romains, il aurait été répandu ensuite dans toute l’Europe par ces derniers sous le nom Allobrogica, Au Moyen Âge, son histoire se confond avec celle des monastères clunisiens qui contribuèrent à la plantation et à la sélection du vignoble bourguignon et champenois.
La Petite Sainte Marie. C’est le nom donné au cépage Chardonnay en Savoie, d’un terroir qui n’est pas trop éloigné de Gap.
Retrouvez ici les panneaux descriptifs des plantes du jardin.